Les entrepreneurs qui choisissent de créer une Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL) se trouvent face à des interrogations complexes concernant l’application de la Taxe sur la Valeur Ajoutée, particulièrement lorsque leur société peut bénéficier du régime micro-entreprise. Cette configuration particulière, introduite par la loi Sapin 2 en décembre 2016, permet aux EURL de profiter des avantages fiscaux et sociaux du statut micro tout en conservant leur forme sociétaire. La compréhension des mécanismes de TVA dans ce contexte hybride devient cruciale pour optimiser la gestion fiscale et éviter les erreurs coûteuses. Les enjeux financiers sont considérables : une mauvaise application des règles peut entraîner des redressements fiscaux ou faire perdre des avantages substantiels en matière de récupération de TVA.
Conditions d’application du régime micro-entreprise pour les EURL
L’option pour le régime micro-entreprise par une EURL nécessite le respect de conditions strictes qui déterminent l’éligibilité et les modalités d’application. Ces critères, définis par l’article 50-0 du Code général des impôts, constituent le socle réglementaire sur lequel repose cette possibilité fiscale avantageuse.
Seuils de chiffre d’affaires 2024 selon l’activité exercée
Les seuils de chiffre d’affaires constituent le premier critère d’éligibilité au régime micro pour les EURL. Pour l’année 2024, ces plafonds s’établissent à 188 700 euros pour les activités de vente de marchandises, fournitures, denrées à emporter ou à consommer sur place, ainsi que pour les prestations d’hébergement. Les activités de prestations de services commerciales et artisanales, ainsi que les professions libérales, doivent respecter un seuil plus restrictif de 77 700 euros de chiffre d’affaires annuel.
Ces montants s’apprécient hors taxes et correspondent aux recettes effectivement encaissées pour les activités relevant des Bénéfices Non Commerciaux (BNC). Pour les Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC), l’entrepreneur peut choisir entre l’encaissement effectif ou la comptabilisation des créances acquises, à condition de maintenir cette option de façon constante.
Critères d’éligibilité au régime micro-fiscal pour les gérants associés uniques
L’éligibilité au régime micro-fiscal impose que l’associé unique de l’EURL soit obligatoirement une personne physique. Cette condition exclut automatiquement les EURL détenues par des personnes morales, telles que d’autres sociétés ou associations. De plus, l’associé unique doit impérativement exercer les fonctions de gérant de la société, garantissant ainsi un contrôle opérationnel direct sur l’activité.
La société doit également relever de l’impôt sur le revenu et non de l’impôt sur les sociétés. Cette exigence découle du fait que le régime micro-fiscal constitue une modalité particulière d’imposition à l’IR, incompatible avec l’assujettissement à l’IS . L’EURL conserve néanmoins la possibilité d’opter ultérieurement pour l’impôt sur les sociétés, mais perdra alors automatiquement le bénéfice du régime micro.
Impact de la nature juridique EURL sur l’option micro-entreprise
La forme juridique EURL présente des spécificités qui distinguent fondamentalement son fonctionnement de celui d’une entreprise individuelle classique sous régime micro. Contrairement au micro-entrepreneur individuel, l’EURL demeure soumise à ses obligations comptables et juridiques complètes : tenue d’une comptabilité régulière, établissement des comptes annuels et approbation par l’associé unique.
Cette particularité génère une complexité administrative supplémentaire, car l’allègement comptable caractéristique du régime micro ne s’applique pas aux obligations sociétaires . L’EURL doit donc produire un bilan, un compte de résultat et une annexe, même si elle bénéficie des simplifications fiscales et sociales du régime micro pour le calcul des impôts et cotisations.
Exclusions sectorielles du régime micro pour les sociétés unipersonnelles
Certaines activités demeurent exclues du régime micro-entreprise, même pour les EURL éligibles. Les professions réglementées comme les notaires, avocats, experts-comptables ou architectes ne peuvent prétendre à ce régime simplifié. Les activités de marchands de biens immobiliers, lotisseurs et agents immobiliers sont également écartées, de même que les opérations sur les marchés financiers.
Les activités agricoles bénéficient d’un régime spécial (micro-BA) distinct du régime micro-entreprise classique, créant une catégorie à part dans le paysage fiscal français.
Mécanisme de TVA sur les encaissements en régime micro-EURL
Le fonctionnement de la TVA pour une EURL sous régime micro-entreprise présente des particularités qui découlent de la combinaison entre le statut sociétaire et les règles du régime micro. Cette situation hybride nécessite une compréhension approfondie des mécanismes applicables pour optimiser la gestion fiscale.
Application de la franchise en base de TVA jusqu’aux seuils légaux
L’EURL sous régime micro-entreprise peut bénéficier de la franchise en base de TVA selon les mêmes modalités qu’un micro-entrepreneur classique. Les seuils d’application s’établissent à 85 000 euros pour les activités de vente et prestations d’hébergement, et 37 500 euros pour les prestations de services. Cette franchise dispense la société de collecter la TVA sur ses ventes et prestations, simplifiant considérablement la gestion administrative.
Cependant, cette exemption s’accompagne de l’impossibilité de récupérer la TVA supportée sur les achats professionnels. Cette limitation peut s’avérer pénalisante pour les activités nécessitant des investissements importants ou des achats réguliers de fournitures et matières premières. L’entrepreneur doit donc évaluer soigneusement le rapport coût-bénéfice entre la simplification administrative et la perte de récupération de TVA.
Gestion des prestations de services intracommunautaires B2B
Les EURL réalisant des prestations de services intracommunautaires font face à des obligations particulières, même sous franchise de TVA. Ces opérations, définies par les articles 259 A et suivants du Code général des impôts, nécessitent l’obtention d’un numéro de TVA intracommunautaire auprès du Service des Impôts des Entreprises. Cette exigence s’applique dès la première prestation, quel que soit le montant.
Le mécanisme d’autoliquidation de la TVA s’applique à ces opérations : l’EURL doit déclarer et verser en France la TVA relative à ses acquisitions intracommunautaires de services, tout en bénéficiant simultanément d’un droit à déduction équivalent. Cette neutralité fiscale préserve les avantages du régime de franchise pour les opérations purement domestiques tout en respectant les obligations européennes de traçabilité .
Traitement TVA des ventes de marchandises avec livraisons france métropolitaine
Les ventes de marchandises réalisées par une EURL sous franchise de TVA suivent les règles communes d’exonération, sous réserve du respect des seuils applicables. La distinction entre ventes au détail et ventes en gros ne modifie pas l’application du régime, contrairement à certaines idées reçues. L’essentiel réside dans le respect des plafonds annuels et la nature B2C ou B2B de la clientèle.
Pour les ventes à distance vers d’autres États membres de l’Union européenne, un seuil spécifique de 10 000 euros par an détermine l’obligation de déclaration dans l’État de destination. Au-delà de ce montant, l’EURL doit s’enregistrer à la TVA dans le pays du client ou utiliser le guichet unique européen (One Stop Shop) pour simplifier ses obligations déclaratives.
Facturation sans TVA et mentions obligatoires article 293 B du CGI
L’EURL bénéficiant de la franchise de TVA doit respecter des obligations de facturation spécifiques. Chaque facture émise doit comporter la mention obligatoire : "TVA non applicable, article 293 B du Code général des impôts" . Cette indication informe les clients de l’exonération et justifie l’absence de TVA sur le document commercial.
Les factures doivent également respecter les obligations générales de facturation : identification complète des parties, description précise des biens ou services, prix unitaires et totaux, date de réalisation de l’opération. L’absence de TVA ne dispense pas du respect des autres mentions légales , et tout manquement peut entraîner des sanctions administratives indépendantes du régime fiscal choisi.
La mention article 293 B du CGI constitue un élément de preuve essentiel pour justifier l’exonération de TVA en cas de contrôle fiscal, et son omission peut compromettre le bénéfice du régime de franchise.
Dépassement des seuils de franchise et basculement vers le régime réel
Le dépassement des seuils de franchise en base de TVA déclenche des obligations nouvelles pour l’EURL, avec des modalités d’application qui diffèrent selon l’ampleur et la durée du dépassement. Ces mécanismes, régis par les articles 293 B et suivants du Code général des impôts, nécessitent une surveillance constante du chiffre d’affaires pour anticiper les changements de régime.
Lorsque l’EURL dépasse les seuils majorés de 93 500 euros pour les activités de vente ou 41 250 euros pour les prestations de services, elle devient immédiatement redevable de la TVA. Cette obligation prend effet dès le premier jour du mois au cours duquel le dépassement intervient, sans délai de grâce ni période transitoire. L’entrepreneur doit alors facturer la TVA sur toutes les opérations réalisées à compter de cette date, même si les contrats ont été conclus antérieurement sous le régime de franchise.
Le dépassement des seuils de base (85 000 euros et 37 500 euros respectivement) sans franchissement des seuils majorés ouvre une période de tolérance d’une année civile. Durant cette période, l’EURL conserve le bénéfice de la franchise de TVA, mais devient automatiquement redevable de la taxe au 1er janvier de l’année suivante si le dépassement se reproduit. Cette règle de double dépassement consécutif vise à éviter les changements intempestifs de régime liés à des variations ponctuelles d’activité.
Le basculement vers le régime réel d’imposition s’accompagne de nouvelles obligations déclaratives et comptables en matière de TVA. L’EURL doit solliciter l’attribution d’un numéro de TVA intracommunautaire et choisir entre le régime simplifié ou le régime réel normal, en fonction de son chiffre d’affaires et du montant de TVA collectée annuellement. Cette transition nécessite souvent un ajustement des systèmes comptables et une formation du personnel aux nouvelles procédures.
Obligations déclaratives TVA spécifiques aux EURL micro-entreprise
Les obligations déclaratives en matière de TVA pour une EURL sous régime micro-entreprise présentent des spécificités qui découlent de la dualité entre le statut sociétaire et les simplifications du régime micro. Ces obligations varient considérablement selon que l’EURL bénéficie ou non de la franchise de TVA, créant des niveaux de complexité administrative différents.
En franchise de TVA, l’EURL échappe aux déclarations périodiques de taxe sur la valeur ajoutée, mais demeure soumise aux obligations comptables liées à sa forme sociétaire. Cette situation particulière signifie que la société doit tenir une comptabilité complète tout en bénéficiant d’une dispense déclarative fiscale pour la TVA. Les livres comptables doivent néanmoins faire apparaître distinctement les opérations exonérées et mentionner l’application du régime de franchise sur les documents comptables.
Dès la sortie du régime de franchise, l’EURL doit s’acquitter d’obligations déclaratives adaptées à son niveau d’activité. Le régime simplifié impose une déclaration annuelle CA12 accompagnée de deux acomptes semestriels, calculés sur la base de la TVA de l’exercice précédent. Le régime réel normal nécessite des déclarations mensuelles CA3, offrant une gestion plus fine des créances et dettes de TVA mais exigeant une organisation administrative renforcée.
Les EURL réalisant des opérations intracommunautaires doivent également produire des déclarations d’échanges de biens (DEB) et de services (DES) selon des seuils et périodicités spécifiques. Ces obligations, distinctes de la TVA domestique, s’appliquent même aux sociétés bénéficiant de la franchise en base et nécessitent une veille réglementaire constante pour éviter les omissions. La dématérialisation obligatoire de ces déclarations impose par ailleurs l’utilisation d’outils informatiques adaptés ou le recours à des prestataires spécialisés.
Récupération de TVA déductible et limitations du régime micro
La récupération de la TVA déductible constitue l’un des enjeux financiers majeurs pour les EURL sous régime micro-entreprise, avec des implications stratégiques importantes selon la nature et l’intensité capitalistique de l’activité exercée. Les limitations inhérentes au régime de franchise en base peuvent en effet représenter un manque à gagner significatif pour certaines entreprises.
Sous le régime de franchise en base de TVA, l’EURL renonce définitivement à la récupération de la taxe supportée sur ses achats professionnels,
investissements et frais de fonctionnement. Cette contrainte financière peut représenter un désavantage concurrentiel majeur face aux entreprises soumises au régime réel de TVA, particulièrement dans les secteurs nécessitant des achats récurrents de matières premières ou d’équipements coûteux.
L’impact financier de cette limitation varie considérablement selon le secteur d’activité. Une EURL de prestations intellectuelles avec peu d’achats matériels subira un impact limité, tandis qu’une activité de négoce ou de production artisanale peut voir sa rentabilité significativement affectée. L’analyse du ratio TVA déductible sur TVA collectée devient donc cruciale dans la décision d’opter ou non pour le régime de franchise.
Pour les EURL ayant basculé vers le régime réel de TVA, la récupération devient possible selon les règles de droit commun. Cette transition s’accompagne toutefois d’obligations nouvelles : tenue d’un registre des achats détaillé, conservation des factures justificatives, respect des conditions de forme et de fond pour la déductibilité. Les biens acquis antérieurement sous franchise de TVA ne peuvent faire l’objet d’aucune régularisation, créant une perte définitive sur les investissements réalisés pendant la période d’exonération.
La récupération de TVA sur les immobilisations peut justifier à elle seule la renonciation volontaire au régime de franchise pour les EURL réalisant des investissements importants dès leur création.
L’option pour l’assujettissement à la TVA demeure possible à tout moment pour une EURL, même si elle respecte les seuils de franchise. Cette démarche, irréversible pendant deux ans, nécessite une déclaration écrite au Service des Impôts des Entreprises et prend effet au premier jour du mois de la demande. Cette flexibilité permet aux entrepreneurs d’adapter leur régime fiscal à l’évolution de leur structure de coûts et de leur stratégie commerciale, optimisant ainsi l’équilibre entre simplicité administrative et optimisation fiscale.
